Rencontre avec M. Thierry HUTLÉ, General Manager du groupe NEOTECH, Ingénieur en HVAC
Expert auprès de la cour d’appel de Rennes (France)Pouvez-vous vous présenter, ainsi que votre domaine d’expertise, en quelques mots avec des exemples concrets auprès de vos clients ?
Je suis avant tout un homme de terrain et un passionné. Enseignant, ingénieur, expert en thermique plus particulièrement en froid et HVAC1, je dirige également plusieurs PME orientée MCO (Maintien des Conditions Opérationnelles) pour des clients majeurs (Chantiers de l’Atlantique, Naval Group, ETT, Total, etc.) Nous disposons en propre de bureaux d’études et d’une capacité de projection off-shore nous permettant d’intervenir partout dans le monde pour du commissioning2, du rétrofit3 ou de la consolidation de solutions. Plus important encore, j’ai réussi à m’entourer d’une équipe performante ou le maître mot reste « compétences ».
Que ce soit la normalisation d’une salle d’opération en Afrique, le déploiement d’un chiller4 de secours dans un bassin de radoub en Asie, le rétrofit de frigo-vivres en territoire ultra-marin, la normalisation de solutions d’eau glacée à SanJuan, la mise en place de CTA5 à Yamal LNG en Sibérie, le contrôle d’étanchéité des locaux vie sur des plateformes pétrolières au Congo ou bien le commissioning de laboratoires P4, nous intervenons partout quand nous estimons disposer des moyens nécessaires pour y arriver. C’est bien là le propre de toutes les activités à haut facteur d’adrénaline déployées du jour au lendemain sur tous types de théâtres d’opérations.
Laquelle de vos expertises vous a le plus marqué et pourquoi ?
Chaque expert vous le dira, ce que nous craignons le plus, c’est l’erreur de diagnostic. Je venais de me mettre à mon compte quand un grand groupe m’a dépêché en 2012 sur la station de redressement EDF à Calais, où les dégâts dus à une avarie de régulation avaient généré plusieurs millions d’euros de dommages. J’avais eu la chance d’identifier
rapidement l’origine du désastre, mais aussi paradoxal que cela puisse paraître, la pression que je m’étais mise, l’envergure de mes interlocuteurs ainsi que le nombre exponentiel d’experts de toutes nationalités avec des pédigrées de circonstance m’ont fait douter de moi. Il m’avait fallu plusieurs jours pour publier le rapport. J’en ai retenu que le plus important dans une expertise n’est pas d’avoir un avis, mais d’en assumer la portée afin de permettre la mise en œuvre de solutions pérennes. Je ne l’ai jamais oublié.
Quels sont les défis que vous identifiez vis-à-vis de la crise actuelle du COVID 19 et notamment de l’aération des bâtiments ?
Le vrai défi qu’impliquera une gestion post COVID19 sera celui d’intégrer des solutions réfléchies et non des concepts HVAC en catalogue. C’est loin d’être le cas aujourd’hui : les recours en expertises se systématisent, ils sont pour ainsi dire prévus dans le budget prévisionnel de beaucoup de projets. Si effectivement la filtration de l’air et la gestion
du taux d’hygrométrie sont les clés de voute d’un système anti COVID ou tout autre forme de pandémie, il devient aujourd’hui fondamental de rationaliser les CCTP5 (taux de brassage, vitesse de l’air, RNA6, Draft Raughting7, etc.) Tous les concepteurs de machines de traitement de l’air ont des solutions performantes, mais aucune technologie ne
permet à l’heure actuelle de transposer la même centrale d’un système et d’un lieu à un autre. L’aération des bâtiments est évidemment un sujet critique, mais pas nouveau. Où mettre le curseur entre le coût du traitement de l’air, les moyens structurels nécessaires et les normes, de plus en plus contraignantes, qui encadrent cet
univers ? Toutes les pathologies associées aux bâtiments sont généralement réduites dans l’appellation Sick Building Syndrome (SBS8). Dans ce sens, l’OMS considère que 25 à 30 % des bâtiments neufs et rénovés sont concernés par le Sick Building Syndrome. Quand on y rajoute les phénomènes de passoire thermique, on comprend un peu plus la
difficulté de la tâche quant à la mise au point d’une aération optimisée. La crise COVID19 remplace la crise de la Légionellose9, et précède celle qui viendra. Les vecteurs communs partagés par toutes les espèces vivantes, confrontées à toutes ces pandémies, sont l’air et l’eau que nous faisons circuler à haute densité dans toutes nos structures. Rationaliser les débits, les quantités et la distribution devrait permettre, outre une réduction des coûts d’exploitation énergétique, de limiter l’impact d’une CTA sur les usagers.
Pouvez-vous svp partager votre expérience relative aux systèmes d’aération des bateaux et nous exposer brièvement en quoi cette dernière peut s’avérer utile pour les bâtiments classiques et les entreprises ?
Un bateau concentre dans un milieu clos l’ensemble des problématiques et des technologies communes à tous les systèmes. Il est facile d’imaginer que le plus beau des paquebots se viderait de tous ses passagers si aucun air neuf n’était insufflé, et si l’extraction des polluants n’était pas efficace. Pour beaucoup d’armateurs pour lesquels nous travaillons, la définition d’une température commerciale est le fondement économique de leur entreprise (ce sont des données confidentielles à chaque armement). Le prix des croisières de masse se démocratise un peu plus chaque jour, le voyage n’étant que le produit d’appel. Toute la marge se fait sur les boutiques et prestations connexes vendues à bord, si et seulement si les clients sont dans la galerie commerciale. Une panne de climatisation ou un sentiment de gêne incite les PAX10 à déambuler sur les différents ponts extérieurs. Les pertes se chiffrent en centaines de milliers d’euros. Intégrer une climatisation, un traitement de l’air ou un réseau de gaines dans un navire reste cependant un art difficile, où le maitre mot est « compromis », et où la plus grande difficulté est de savoir où mettre le curseur. En d’autres termes, Pandore aurait eu tout loisir de s’approprier le concept d’intégration navale sans déroger à son mythe. Savoir construire une solution pour un navire permet ensuite d’envisager toutes les intégrations nécessaires en tertiaire quand la place, l’environnement ou la fonction du système nécessite du sur-mesure. Notons quand même qu’à l’impossible nul n’est tenu.
À votre avis, que manque-t-il pour aider les Experts et faciliter le travail des décideurs ?
Le point le plus critique s’agissant des problématiques d’expertise reste la normalisation des vecteurs et des flux de communication entre experts et décideurs, tout comme la mutualisation des informations et la rationalisation des objectifs. Cela se traduit aussi par la nécessité d’une confiance réciproque majeure. Dans ce sens, le temps assigné doit être anticipé, sauf bien sûr en cas de situation critique où la priorité doit rester la sauvegarde des structures et la sécurité des biens et des personnes exposées.
Quelle est la différence qui fait de vous un Expert et non un simple spécialiste ou consultant ?
La passerelle est infime entre ces trois appellations, mais s’il fallait se prononcer sur une différence, je pense que c’est l’obligation de résultat. Un expert doit avoir la capacité de décider d’une solution terminale et d’accompagner sa mise en œuvre dans toutes ses dimensions.
Quel est le problème le plus courant que vous rencontrez ?
La plus grande difficulté à laquelle je suis confronté réside dans l’éparpillement des compétences de mes interlocuteurs et la multiplicité des intervenants. La gestion d’un projet est aujourd’hui complètement diluée entre bureau d’études, architectes, sous-traitants, responsable de service, maître d’œuvre, CONSUELS11 et autres sachants, si
bien qu’il est quelquefois impossible d’identifier le donneur d’ordres et donc d’aboutir à une solution consolidée dans un délai cohérent. Paradoxalement, quand la date du commissioning ou de la réception client approche, tout vole en éclats et tout le temps perdu manque cruellement, ce qui ne manque pas d’entrainer les plus grands désordres qui se chiffrent parfois en millions d’euros.
Jusqu’à maintenant, comment trouviez-vous vos clients ?
Nous avons la chance de ne pas avoir à chercher de clients, car nous rencontrons les acteurs majeurs du marché par le biais de notre cabinet d’expertise, de notre centre de formation et ne nos entreprises de services, acteurs qui nous font généralement confiance par la suite. Nous ne sommes pas en mesure d’honorer toutes les demandes.
Quel a été votre moyen publicitaire le plus efficace à ce jour ? Quel est le profil de votre client type ?
Moyens publicitaires les plus efficaces : disponibilité opérationnelle et capacité à faire.
Client type : entreprises, off-shore, organismes gouvernementaux, armateurs.
Pour en savoir plus sur les activités d’Expertherm, rendez-vous sur :
http://www.expertherm.com
Pour plus d’informations sur Experts sans Frontières, rendez-vous sur :
https://expertssansfrontieres.org
1. Heating Ventilation and Air Conditioning, en français CVC (chauffage, ventilation et climatisation).
2. Le commissioning est une démarche qualité qui définit l’ensemble des tâches à mettre en œuvre permettant d’atteindre le niveau des performances énergétiques contractuelles et de créer les conditions pour les maintenir sur la durée.
3. Opération consistant à remplacer des composants anciens ou obsolètes par des composants plus récents, sans modifier la fonction ni sans changer toute l’installation.
4. Groupe d’eau glacé. Système qui refroidit de l’eau, par opposition à un climatiseur, qui refroidit de l’air.
5. Cahier des Clauses Techniques Particulières.
6. Taux de Renouvellement de l’Air en fonction des locaux et de leur finalité.
7. Calcul de la gêne pour les usagers issue des perturbations aérauliques de type courants d’air pour définir la vitesse de l’air à produire dans les locaux.
8. Source Techniques de l’Ingénieur, BE 9 270 – 4, traité Génie énergétique : Depuis la fin des années 1970, les occupants des bureaux climatisés des IGH (immeuble de grande hauteur) se plaignent, entre autres, de troubles respiratoires, de manifestations oculaires, cutanées, neuropsychiques et digestives. Ces troubles provoquent une sensation d’inconfort bénin, mais permanent. Les facteurs de développement du SBS sont entre autres, liés à la qualité de l’air intérieur, notamment au débit d’air neuf, mais dépendent aussi des équipements techniques comme l’éclairage et des facteurs organisationnels comme le confort du mobilier et le stress physicosocial.
9. La légionellose est une maladie infectieuse due à une bactérie d’origine hydrotellurique de la famille des Legionellaceae dont la plus connue est Legionella pneumophila. La bactérie se développe dans les réseaux d’eau douce naturels ou artificiels et est transmise sous forme d’aérosol. Toutes les tours de refroidissement ont été modifiées pour limiter cette diffusion.
10. Abréviation de passengers : Appellation générique utilisée pour désigner les passagers d’un navire.
11. En France, le CONSUEL ou Comité National pour la Sécurité des Usagers de l’Électricité est une association reconnue d’utilité publique chargée du visa d’attestations de conformité des installations électriques des habitations neuves ou entièrement rénovées, après leur éventuel contrôle. Les locaux professionnels, tertiaires, industriels, artisanaux & commerciaux sont aussi concernés.